Expertises VIERGE A L’ADORATION DES MAGES VIERGE A L’ADORATION DES MAGES VIERGE A L’ADORATION DES MAGES VIERGE A L’ADORATION DES MAGES Etude sur une Vierge : premier chemin d’une quête initiatiqueTHESEVierge à l’adoration des Mages destinée à l’abbaye de NasbinalsHaut. : 12,7 cmDESCRIPTION DE LA STATUETTEVierge au visage grave, coiffée d’un maphorion, vêtue d’une palla au col perlé – une tunique plissée tombant jusqu’aux pieds. La mère tient l’enfant assis de face sur ses genoux, de la main droite, le présentant de la main gauche, posture classique de la Vierge theotokos. Le Christ habillé d’une tunique à l’antique, maintient fermement les Saintes Ecritures contre sa poitrine, sous forme d’un codex, représentation caractéristique de la Vierge à l’adoration des Mages.La face dorsale de la statuette laisse apparaître le trône sur lequel la Vierge est assise. L’ornementation de ce trône est riche en symboles énigmatiques. Sous la nuque voilée de la Vierge, un dossier arrondi évoquant un bouclier orné de deux oiseaux nimbés, et bordé d’une bande perlée, renvoie à un culte lié à un pouvoir protecteur.L’assise du trône se compose de deux arches romanes1ornées de bâtons brisés et de perles, reposant sur trois colonnes cannelées à chapiteaux corinthiens, disposées en rotonde. Cet ordre circulaire n’est pas sans rappeler (photo) le tombeau de la Vierge à Jérusalem (Ve siècle) comme le fondement de la Sainte Eglise. A l’écoinçon des deux voutes, un fleuron étoilé symbolise peut-être le chemin de Saint-Jacques-de-Compostelle. Sur le dossier du trône, deux milans aux têtes nimbées se font face.CONSTAT DE RESTAURATIONSDes réassemblages réversibles avec une colle vinylique et de la poussière d’ivoire ont été effectué, la restauration de la base à la chaux, plâtre et colle étant beaucoup plus ancienne. Une fracture au cou et à la base est constatée ainsi que des petits manques dont l’un au talon sous la base dû à un prélèvement.ANALYSE ESTHETIQUEDeux lectures de la partie supérieure du trône sont plausibles.La première lecture associerait le dossier au triple bouclier du scapulaire de la Vierge (« Panégyrique du scapulaire de la Vierge », p. 314-315), dont le rosaire représenté par la bordure perlée protégerait du mal, les ailes des oiseaux préserveraient de la faiblesse humaine et de l’erreur, et les nuées garantiraient de la juste colère de Dieu.Dans sa facture, la statuette laisse apparaître une parenté forte avec deux sculptures en grès rose de la Vierge à l’adoration des Mages de l’église de Perse à Espalion (prieuré dépendant de l’abbaye de Conques), construite à la fin du XIe siècle vraisemblablement avec des restes de l’église de Nasbinals dépendant de l’abbaye de Saint-Victor de Marseille (XIe siècle) détruite à la même période.Il est possible que ces deux vierges proviennent à l’origine de Nasbinals, étape (ancien prieuré) entre le Puy-en-Velay et Conques, qui fut construite sous le matronyme de Sainte-Marie de Nasbinals en 1064, comme en témoigne les moines bernardins de Saint-Victor de Marseille (« Abbaye Saint-Martin de Ligugé. Revue Mabillon : archives de la France monastique », 1906/05-1907/02, p. 177 et sq.).1 Monsieur Alphonse Snoeck de Lagrasse dans l’Aude, spécialiste du sculpteur de Cabestany a attiré notre attention sur l’existence uniquement au XIème siècle d’un trône similaire dans les frises des Abbayes du Boulou et de Saint Génis des Fontaines.Pour seul vestige historique de cette abbaye, il reste une église construite au début du XIIe siècle, remarquable par l’existence d’une source artésienne provenant des Alpes, encore matérialisée par deux blocs basaltiques figurant des têtes d’oiseaux, dont l’un est encore bien visible.Les oiseaux gravés dans le dos de la Vierge en ivoire ont tout lieu de nous interpeller : aucune représentation de milans nimbés n’a été retrouvée à ce jour. L’oiseau est par ailleurs associé à la vigilance de l’eau, culte qui existait déjà localement (cf. Grégoire de Tours).La seconde lecture de ce bouclier serait plus syncrétique. Elle mêlerait un culte contextuel de l’eau lié à deux sources artésiennes provenant des Alpes, aujourd’hui détournées dans l’abreuvoir contigu à l’église de Nasbinals. Les deux oiseaux placés dans le dos de la Vierge pourraient être rapprochés de deux pierres figuratives situées à l’intérieur de l’église de Nasbinals sous les deux piliers de la rotonde mariale, où l’une des pierres suggère assez clairement deux têtes d’oiseaux (voir photo) – ce qui est unique.En ce sens, une interprétation de la racine latine du toponyme Nasbinals décomposé en trois mots associés (nases – bini – alitis) « deux becs d’oiseaux », illustre ce point (après contraction des morphèmes). Ceci soulève la thèse d’un culte de l’eau préexistant à Nasbinals avant le XIe siècle, culte dont Grégoire de Tours, évêque de Clermont au VIe siècle, mentionnait déjà l’existence dans son « De Gloria Martyrum».ANALYSE STRUCTURELLE ET ORGANIQUEL’analyse structurelle de la pièce se fonde sur la double observation du réseau des fissures apparaissant à la surface de la statuette et des traces colorées en jaune résultant de la diffusion du soufre dans la dentine, plus marquées à la base du bloc d’ivoire.Analyse du réseau de fissurationLe réseau de fissures de la face (dites tangentielles) est caractérisé par une exposition importante aux chocs thermiques et à la lumière directe. Ces fissures se présentent sous forme de segments parallèles et décalés. Les fissures du dos, quasi inexistantes, suggèrent la proximité d’un écran protecteur (fond d’une niche) absorbant les chocs thermiques et exposant la dentine à une lumière claire reflétée. La fissuration en réseau couvrant la base de la statuette évoque un choc thermique provoqué par l’opération de fixation à chaud de la pièce sur un socle, à l’aide d’un mastic de cire (cire + souffre), dont il reste des traces visibles à la surface de la base.Analyse de la couleurL’observation des variations de couleurs sur la face, le dos et la base de la statuette permet de recouper des marqueurs de vieillissement convergents avec l’analyse des fissures.La face de la vierge présente une teinte générale très claire, avec quelques traces jaunes provenant de la manière dont elle était exposée : une lumière venant de la droite, les taches du piétement étant vraisemblablement dues à deux pattes de fixation.La surface du dos, exposée à une faible lumière indirecte, montre une teinte généralement plus jaune, la partie de la tête et des épaules ayant vraisemblablement été exposé à un supplément de lumière, diffusé par un fond réflexif.La base du bloc d’ivoire comporte une teinte située en périphérie, donnant l’impression d’une épaisseur de la couleur du dos. Cette épaisseur permet de dater l’âge de la dentine en corrélation avec la partie blanche qui lui est adjacente. Ce phénomène, qui correspond à la migration des ions sulfure de la dentine en l’absence d’énergie lumineuse (lois de Fick), permet de dater la dentine en l’absence de lumière : les ions sulfure migrant de l’intérieur vers l’extérieur de la dentine dans les seules parties tangentielles périphériques de la dent.L’observation de ce phénomène de vieillissement de l’ivoire sur des pièces précisément datées conduit à estimer le temps de migration des ions sulfure à un dixième de millimètre par siècle dans la dentine non exposée à lumière (donc la statuette date du XIe siècle).En conclusion de cette analyse structurelle de la vierge, une cohérence apparaît entre les types de fissures réparties sur les trois faces de la sculpture et la nature de la répartition des couleurs de vieillissement.Il est surprenant de constater la ressemblance morphologique entre les habitantes de Maaloula (ville située au nord-est de Damas) et la Vierge à l’adoration des Mages.A-t-il existé un lien entre les deux cultures ?Cette quête initiatique est loin d’être terminée.Expert Philippe RAGAULTComité de lecture Ghislain DIBIE